Celui qui décortique les représentations produites par Friends (2/3)

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Celui qui décortique les représentations produites par Friends (2/3)
Une série grossophobe et sexiste ?

La grossophobie dans Friends

La grossophobie, c’est un néologisme qui désigne la discrimination envers les personnes obèses ou en surpoids. Dans Friends, cette grossophobie semble inhérente au personnage de Monica… ou plus exactement à celui de son alter-ego jeune et en surpoids : Fat Monica. Ce surnom peut paraitre offensant, il l’est, mais il est important de bien comprendre que Monica et Fat Monica, bien qu’étant censés être la même personne, et interprétés par la même actrice, sont deux personnages totalement différents.

Fat Monica est introduite en février 1996 dans la séquence finale du quatorzième épisode de la deuxième saison, The One With The Prom Video, « Celui avec la vidéo du bal de promo » si on traduit de manière littérale en français. Dans cet épisode, Monica reçoit une visite surprise de ses parents. Plus tard dans l’épisode, alors que ses amis l’aide à vider ses cartons, ils trouvent son ancien maillot de bain… puis ils découvrent une cassette vidéo, celle dont parle le titre de l’épisode. Avant même qu’elle ait ouvert la bouche, l’apparition de Fat Monica rend le public hilare… et permet à Joey de faire une première blague. Dès le premier plan dans lequel elle apparait, la mise en scène insiste sur son corps en dehors des normes et sur la raison de son surpoids : elle a un sandwich à la main. Et la suite de la séquence est du même acabit… Alors, rappelez-vous des deux questions à se poser pour comprendre la nature des représentations produites par une comédie : de qui se moque-t-on ? et de quoi se moque-t-on ? Dans cette séquence, on se moque de l’apparence physique de 3 des 6 personnages principaux présentes et présent dans cette vidéo. Mais quand le personnage masculin, Ross, est moqué pour une caractéristique assez superficielle qu’il a lui-même choisi – une moustache – les personnages féminins le sont pour des particularités physiques beaucoup plus importantes et qu’elles n’ont pas choisi : Rachel l’est pour son nez « naturel », très différent de celui qu’on lui connait ensuite ; et Monica l’est donc pour son surpoids. Concernant le personnage de Fat Monica, c’est donc assez clair : on se moque du fait qu’elle soit obèse. On se moque d’elle, on rit d’elle pour ce qu’elle est, et pas pour ce qu’elle fait ou dit, lors de cette première apparition.

Par la suite, le personnage de Fat Monica reviendra à seulement 3 reprises dans la série. La première, c’est un peu moins de 3 ans plus tard, dans le huitième épisode de la cinquième saison, intitulé Celui avec tous les Thanksgiving, diffusé à l’automne 1998. Dans cet épisode, les 6 amis se remémorent leurs pires Thanksgiving, ce jour férié célébré le quatrième jeudi de novembre aux Etats-Unis, qui est souvent l’occasion de grands repas de famille. L’épisode est composée de séquences en flash-back, dont deux nous intéressent particulièrement : l’une à lieu en 1987, l’autre en 1988. Ce ne sont pas des images que le public a déjà vues, comme c’est parfois le cas dans des épisodes de Friends, ce sont ici bien des images inédites. Dans la première séquence en flash-back, on assiste donc à la deuxième apparition de Fat Monica. Comme la première fois, le public rit dès qu’elle apparait, une cannette de Coca Light à la main, comme pour mieux souligner ses problèmes alimentaires. Monica et Rachel discutent, puis Ross arrive avec son colocataire de la fac qui n’est autre que Chandler. Dans la fin de la séquence, on voit Ross et Chandler discuter dans la cuisine… sans voir que Monica venait d’y rentrer. Dans une deuxième séquence en flashback, se déroulant un an plus tard, on redécouvre les 4 personnages – Ross, Chandler, Monica et Rachel – totalement transformés physiquement : les personnages masculins ont laissé tomber les moustaches et coupes de cheveux excentriques ; Rachel s’est faite refaire le nez ; et Monica… Dans une conversation avec Rachel, Monica lui indique clairement que son amaigrissement spectaculaire n’est du… qu’à la remarque de Chandler un an auparavant. Et c’est là où on touche du doigt un autre aspect délétère en termes de représentation : ce n’est pas pour se plaire à elle-même qu’elle a maigri, mais pour se conformer à la norme établie : une femme doit être mince. Et qui en a décidé ainsi ? Un homme, qui plus est qu’elle ne connaissait même pas à l’époque !

Dans le quinzième et seizième épisode de la sixième saison, diffusés au printemps 2000 et intitulés The One That Could I’v BeenCe qui aurait pu se passer en français – les personnages principaux sont mis en scène dans une uchronie, une réalité alternative : c’est un grand classique d’une série qui dure, Friends est alors à l’antenne depuis 6 ans, qui permet aux scénaristes de s’amuser à faire sortir les personnages de leurs trajectoires narratives. Tout part d’une grande nouvelle qu’annonce Rachel aux autres. Les 6 amis imaginent leur vie s’ils avaient fait un choix différent, et quand la parole est à Monica… C’est alors que Fat Monica apparait pour la troisième fois… mais ce double épisode va mettre en scène ce personnage sous un jour différent des deux premiers.

Dans le deuxième épisode, après que Rachel ait deviné son secret, Monica se confie à Chandler. Alors qu’elle a un petit ami, dans cette réalité alternative, qui ne semble pas la considérer, elle finit par envisager d’avoir une relation sexuelle avec Chandler…  A la fin du double épisode, Chandler et Monica s’embrassent, nous faisant comprendre que quelle que soit la réalité, et quelle que soit la morphologie ou la situation sociale des personnages, ils étaient destinés à être ensemble.

Alors, que peut-on tirer comme conclusion de cet épisode ? D’une part, il est suggéré qu’il est normal qu’une personne en surpoids ne puisse avoir de sexualité avant 30 ans… et d’autre part, Chandler ne semble pas se soucier de la corpulence de Monica. C’est pour le moins une conclusion ambivalente… C’est finalement dans ce double épisode que le personnage de Fat Monica est le plus développé, que ce soit en termes de temps d’antenne mais aussi d’écriture de personnage. Dans cet épisode, tout ne la ramène pas à son surpoids… ce qui peut être perçu comme une petite victoire. Car, jusqu’à présent, Fat Monica n’était définie que par une seule chose : son rapport à la nourriture, qui serait la cause de tous ses problèmes.

La dernière saison d’une série est souvent l’occasion de faire revenir des personnages secondaires perdus de vu… C’est exactement le cas dans le 11ème épisode de la 10ème saison de Friends, dans lequel on va apercevoir Fat Monica quelques minutes pour la dernière fois. Dans cet épisode, Ross et Chandler se rendent à une réunion d’anciens camarades de promotions de la fac. Les souvenirs reviennent, et bien évidemment, qui dit souvenir dit Fat Monica. Elle n’apparait que quelques dizaines de secondes, le temps de réceptionner une pizza qu’elle a commandé, puis de danser. L’épisode se termine par l’emblématique scène de danse de Fat Monica, déjà vue d’ailleurs au milieu du double épisode uchronique de la saison 6.

Une fois décrit et analysé les épisodes où l’on voit Fat Monica, posons-nous la question initiale : Friends est-elle une série grossophobe ? Oui… mais ce n’est pas à cause de ce que vous croyez. Ce que je viens de faire, en décrivant et analysant les apparitions du personnage de Fat Monica, le plus souvent mis en avant quand on parle de la grossophobie de Friends, c’est ce qu’on appelle une analyse microscopique : 30 minutes cumulées à l’image dans 5 des 236 épisodes de la série, c’est dans cette toute petite portion de Friends qu’apparait le personnage de Fat Monica, ce qui est finalement très peu. Pour autant, la série développe un discours grossophobe sur le long terme, notamment par le biais de blagues récurrentes, parfois très courtes, en rapport à l’obésité passée de Monica. C’est souvent quand il est question de nourriture que le sujet revient sur le tapis…  En terme narratif, c’est une écriture très habile : les scénaristes font appel aux souvenirs et à la connaissance de la série par le public pour faire des blagues très courtes. Cela sert à rendre la série feuilletonante, une des innovations que Friends a apporté au genre de la sitcom, j’en parlais dans l’épisode précédent. Mais dans le fond, cela construit un imaginaire grossophobe sur le long terme… qui est renforcé par d’autres éléments qui n’ont pas de rapport direct avec Monica. Il y a par exemple le personnage secondaire récurrent du Ugly Naked Guy, qui est évoqué dans une dizaine d’épisodes des deux premières saisons avant d’apparaitre au début de la troisième saison : c’est le voisin d’en face de Monica et Rachel. En français, le nom du personnage est plus explicite : « le gros tout nu ». On ne le verra finalement que deux fois… mais jamais de face. Le reste du temps, il existe hors-champ, dans les dialogues des personnages …  Mis à part le Ugly Naked Guy, on peut citer trois autres exemples isolés : un épisode de la septième saison, dans lequel Chandler admet avoir rompu avec une petite amie étant jeune parce qu’elle avait pris du poids ; un autre épisode de la septième saison dans lequel le principe du double épisode uchronique de la saison 6 est utilisé… pour faire croire que Joey aurait pu lui-même devenir obèse, images à l’appui ; et enfin un épisode de la huitième saison, dans lequel Will Colbert, interprété par Brad Pitt, un ancien camarade de classe de Ross, Rachel et Monica, est invité à leur repas de Thanksgiving. On apprend alors que, comme Monica, il était en surpoids étant jeune, ce qui entraine de nouvelles blagues à son propos.

Alors, au final, quel est le rapport de Friends aux personnages en surpoids ? La série développe l’idée qu’il est normal que l’on se moque d’eux…car elles et ils ne correspondent pas à la norme imposée. Le message envoyé au public, surtout féminin, de Friends est limpide : tant que vous ne serez pas mince, aucun homme ne sera intéressé par vous parler, ni même par avoir des relations sexuelles avec vous. Et en ce sens, la série a envoyé un message terrible à des millions de téléspectatrices qui sont loin d’avoir la corpulence de Rachel ou de Monica à l’âge adulte. Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, ce n’est pas les quelques grotesques apparitions de Fat Monica qui ont permis de rendre la série grossophobe… elles n’ont fait que contribuer à un système de blagues qui s’est étalé tout au long de la série.

Friends est-elle la seule fiction audiovisuelle de son époque à avoir usé de grossophobie, et plus précisément du fait d’avoir fait rire d’un corps en dehors des normes ? Et bien pas du tout… à l’époque, c’est même un genre à part entière au cinéma… Vous vous souvenez peut-être de certaines comédies américaines sorties pendant la diffusion originale de Friends, entre 1994 et 2004 comme Le Professeur Foldingue en 1996, avec Eddie Murphy – un film sorti la même année que la première apparition de Fat Monica dans Friends ; ou encore Big Mama en 2000 avec Martin Lawrence ou la comédie romantique L’amour extra large en 2002, avec Gwyneth Paltrow. Ces deux acteurs et cette actrice, connus pour être plutôt minces, interprètent des personnages en surpoids voir obèses, et ce grâce à un même accessoire, déjà utilisé dans Friends : le fat suit. C’est une combinaison rembourrée permettant à un comédien ou une comédienne mince de paraitre beaucoup plus gros. L’utilisation du fat suit engendre au moins deux problèmes : le premier, c’est qu’il est souvent utilisé – comme vous le voyez dans les exemples citées – dans des comédies, pour faire rire du surpoids. C’est par exemple le cas dans un épisode de la cinquième saison du Prince de Bel Air dans lequel le personnage de Will, interprété par Will Smith, qui s’est moqué d’un homme en surpoids, porte un fat suit pour expérimenter ce que cela fait. D’autres séries feront apparaitre, comme Monica dans Friends, des personnages adultes minces qui étaient en surpoids étant ado, grâce à un fat suit : citons par exemple la baby sitter dans un épisode de la deuxième saison de Malcolm, un personnage très secondaire ; ou dans New Girl, l’un des personnages principaux : Schmidt. D’autres séries ne feront quant à elle qu’évoquer le passé de personnages mince qui ont été en surpoids. L’un des exemples les plus anciens se trouve dans la sitcom Cheers, vous vous souvenez, l’une des ancêtres de Friends, quand le personnage de Rebecca dit d’elle même qu’elle était « la fille la plus grosse du lycée ». Dans les années 2000 et 2010, cette caractérisation de personnage a aussi été attribuée à Quinn Fabray dans Glee et à Rachel Gatina dans Les Frères Scott.

Le fat suit, en plus d’induire des rires sur le surpoids, entraine aussi un problème plus insidieux… De la même manière que faire jouer un personnage non-blanc par un comédien ou une comédienne blanche – ou pire, avoir recours à un blackface –, le recours à un fat suit entraine une invisibilisation des acteurs et actrices qui sont ou ont été réellement en surpoids… qui existent pourtant : citons par exemple Melissa McCarthy, Rebel Wilson ou Chrissy Metz. Alors, bien évidemment, dans le cadre spécifique de Friends, il aurait été incongru de faire jouer Fat Monica, qui a seulement 10 ans de moins que Monica, par une autre actrice… Mais le recours au fat suit, les blagues à propos de son surpoids et les conséquences de son obésité renvoient à l’injonction à la maigreur… qui culpabilise les téléspectatrices concernées, mais qui surtout ne correspond pas à la réalité de leurs corps. Saviez-vous par exemple, que 70% des américaines portait au minimum une taille 14, ce qui correspond à un L français ? Bien loin des standards imposés dans les fictions audiovisuelles… et notamment dans Friends.

Sexisme et rôles de genre dans Friends

Les nombreux articles évoqués pour motiver cette série d’épisodes traitant des reproches fait à Friends, ne sont en fait pas des articles, mais des listicles : un mot valise anglais qui désigne des articles sous formes de liste d’exemples autour d’un sujet accrocheur. Ces listicles proviennent de la presse magazines et se sont multipliés sur internet ces quinze dernières années, souvent dans un but de clickbaiting, de servir d’appât à clic. Ce sont souvent des articles, disons-le, bas de gamme à but sensationnaliste et dont l’intérêt réside dans le plus grand nombre d’ouverture de page… qui entraine des recettes publicitaires. Dans de nombreux listicles traitant de Friends, les reproches liées au sexisme supposé de la série résident souvent dans des exemples microscopiques, mal interprétés… et qui détournent l’attention du public de véritables représentations sexistes dans la série !

Ce qui aurait pu faire de Friends une série sexiste, cela aurait été par exemple de maintenir les personnages féminins dans des rôles moins importants, notamment en termes professionnel, par rapport aux personnages masculins. Mais, si on y regarde de plus près… Monica est chef d’un restaurant – un métier plutôt masculin ; Rachel est serveuse mais fini avec un poste à responsabilités dans une marque de mode ; et Phoebe est masseuse.

Au final, ces trois personnages féminins subviennent seules à leurs besoins financiers, et deux des trois ont une situation financière très correcte. En plus de ça, elles sont montrées comme des femmes de caractères, plutôt indépendantes… des personnages féminins plutôt positifs en somme ! En fait, le sexisme dans Friends, serait, selon les listicles, véhiculés par les personnage principaux masculins, Ross en tête. Alors regardons de plus près…

Petit rappel des épisodes précédents si vous n’avez pas suivi : Ross est paléontologue. Il a divorcé de Carol, qui s’est révélée être lesbienne, et qui était enceinte de lui quand ils se sont séparés. C’est Carol et son épouse Susan qui ont la garde de Ben, l’enfant de Ross et Carol. Parfois, Ben rend visite à son père, comme dans le quatrième épisode de la troisième saison, diffusé à l’automne 1996. Dans cet épisode, Carol et Susan laissent Ben chez son père une journée… et dès son arrivée, Ross est dérangé par un de ses jouets. Doit on déduire de cet extrait – très célèbre – que la série est sexiste ? Et bien loin de là… La fin de l’épisode est encore plus claire quant au message de la série. Déduire que cet épisode est sexiste, comme certaines et certains ont pu le faire, est donc un contre sens complet. Au contraire, tous les personnages font comprendre tout à tour à Ross que les stéréotypes de genre sont ridicules, surtout appliqués aux jouets des enfants. Et alors que c’est un message qui commence lentement mais surement à infuser dans la société en 2023, c’était plutôt avant-gardiste que de le dire dans une série populaire en 1996 ! Ross est un personnage sexiste, oui. Mais doit-on en déduire que la série dont il est un des personnages principaux est sexiste de ce fait ? Pas si vite …

Passons désormais à un deuxième exemple, concernant Ross. En 2002, dans le sixième épisode de la neuvième saison, Ross et Rachel cherchent une nounou pour leur fille Emma. Ils interrogent beaucoup de candidates… et ils s’apprêtent à en rencontrer une autre. Le prénom Sandy n’est pas choisi par hasard pour désigner ce personnage secondaire, puisqu’il mixte : il est majoritairement porté par des femmes… mais ce personnage est bel et bien un homme. De la même manière, il exerce un métier défini comme féminin, puisqu’il est pratiqué en très grande majorité par des femmes. Cette distorsion dans l’ordre genré établi bouleverse Ross, qui ne va cesser d’enchainer les clichés, et ce n’est qu’à la fin de l’épisode qu’il finit par expliquer à Sandy pourquoi la situation le rend mal à l’aise.

A la lumière de ces deux exemples, on peut dire qu’il est souvent fait une confusion entre la représentation du sexisme et le sexisme lui-même. De qui se moque-t-on ? De quoi se moque-t-on ? Dans ces épisodes, on rit de Ross, de son conservatisme ridicule. La série ne montre pas Ross comme un gentil garçon, c’est lui-même qui pense ça de lui ! Au contraire, la série le montre avec ses défauts : il est intolérant, condescendant, et ses relations avec les femmes sont marquées par des comportements au mieux sexistes, au pire toxiques. La plus durable, entrecoupés par des ruptures, c’est sa relation avec Rachel. Pendant 10 ans, Ross n’aura de cesse de la manipuler, que ce soit dans sa vie professionnelle ou sa vie personnelle. Citons par exemple la manière dont Ross met volontairement des bâtons dans les roues de Rachel dans la troisième saison par jalousie pour un de ses collègues, alors qu’elle voit sa carrière professionnelle enfin décoller. A la fin de la série, Ross lui demande de renoncer à un poste de rêve à Paris pour rester avec lui. Et dans la sixième saison, alors que Ross et Rachel se sont mariés par inadvertance, Ross ment à Rachel pendant des semaines à propos de l’annulation du mariage… dont il dit s’être chargé sans vraiment le faire. Mais, encore une fois, est-ce que le fait que Ross soit un personnage plein de défauts concernant son rapport aux femmes fait de Friends une série sexiste ? Ou bien est-ce que notre regard se détourne des véritables enjeux ? Car oui, peut-être une série sexiste… mais pas à cause de ses personnages principaux. A cause de son écriture…

Dans un épisode de la sixième saison au titre très parlant Celui qui sortait avec une étudiante, Ross se met à fréquenter Elizabeth, une de ses élèves. La scène qui montre leur rencontre permet de dédouaner, de prime abord, Ross, puisque c’est elle qui se montre insistante pour sortir avec lui. Cette scène est un exemple typique d’un mécanisme scénaristique assez classique de victim blaiming, de rejet de la faute sur la victime, qui alimente ce qui s’appelle la culture du viol : le fait que les atteintes aux femmes, pouvant aller jusqu’au viol, seraient de leur faute : le fameux « elle avait une jupe trop courte ». Ici, Elizabeth parait « fautive » puisque c’est elle qui drague Ross… mais c’est lui l’adulte ayant autorité sur elle, il devrait savoir qu’il ne doit pas céder à la tentation… Ross a pourtant tout à fait conscience du potentiel subversif de cette relation… il le dit à Monica et Joey. Plus que subversive, cette relation est en fait tout simplement interdite par le règlement de son université, comme le lui confirme trois de ses collègues qu’il croise par hasard au Central Perk. Et malgré la connaissance claire de la règle, Ross finit par embrasser Elizabeth, après une longue séquence de drague qui pourrait une nouvelle fois faire passer la jeune fille pour coupable. On retire de cet épisode deux enseignements contradictoires : Ross a une relation interdite avec une jeune fille en connaissance de cause, mais il est à moitié pardonné par les avances insistantes d’Elizabeth. On touche justement ici du doigt le véritable problème du sexisme véhiculé parfois par la série : il est sous-jacent, là où on ne l’attend pas de prime abord. On se moque d’un personnage qui est sexiste… tout en usant de mécanismes sexistes qui décrédibilisent les femmes.

C’est aussi ce qui se reproduit la saison suivante, lors d’un épisode où une cousine de Ross et Monica leur rend visite. Elle part vivre chez Ross quelques jours… et alors qu’ils sont sur le canapé, voilà ce qui passe par la tête de Ross, qui tente, consciemment, d’embrasser une de ses cousines… et il se persuade que c’est elle qui lui fait des avances, exactement de la même manière qu’avec Elizabeth la saison précédente.

Ce mécanisme de décrédibilisation des femmes n’est pas toujours à l’œuvre dans Friends… Il y a des contre exemples, comme dans le douzième épisode de la saison 5, quand Ross couche avec Janice, l’ex petite amie de Chandler… Quand un mécanisme scénaristique sexiste aurait appuyé sur l’inverse, c’est en fait ici à Ross que les personnages reprochent son comportement vis-à-vis de son ami.

Concernant les comportements sexistes dans Friends, les deux autres personnages principaux masculins ne sont pas non plus en reste. Joey considère les femmes ni plus ni moins comme des objets sexuels. Dès le premier épisode, alors qu’il tente de réconforter Ross qui va divorcer, il prononce cette phrase devenue célèbre. Que ce soit dans la version française, que vous venez d’entendre, ou dans la version originale, la comparaison des femmes à des pâtisseries ou des parfums de glace n’est pas très flatteuse… elle objectifie clairement les femmes. Mais, encore une fois, est-ce que le fait que le personnage de Joey soit sexiste – de manière beaucoup plus affirmée que Ross – fait que la série est sexiste ? Au contraire, Joey est une caricature, et n’est pas non plus présenté comme un modèle à suivre… Après Ross et Joey, le troisième personnage principal masculin, Chandler, n’est pas en reste : une fois en couple stable, il est souvent représenté en train de regarder la télé plutôt que d’aider aux tâches ménagères… et, plus grave, son personnage a souvent été épinglé pour son homophobie plus que latente…

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